Si vous lisez et écoutez Maddie depuis ses débuts, vous l’aurez sans doute compris : la prise en charge du sportif, de ses étirements en passant par les programmes d’entrainements, est un de nos thèmes récurrents. Le 3 juin dernier, c’est avec plaisir que nous accueillions Arnaud Bruchard au micro de notre podcast “Maddie, Conversation avec un kiné” sur le thème de la LMA, terme qu’il a lui-même créé pour parler des lésions musculaires dites myo-aponévrotiques. Dans cet article, nous revenons pour vous sur les 10 enseignements clés pour prendre en charge ces lésions musculaires chez le sportif.
LMA : LA blessure du sportif
Les lésions musculaires sont les blessures les plus courantes chez les sportifs, elles représentent ⅓ des blessures rapportées dans le sport en général (35% dans le football, 41% dans l’athlétisme). Elles concernent principalement les muscles des membres inférieurs, les ischio-jambiers (40%), les quadriceps, les triceps, le solaires, et adducteurs.
Au vu du nombre important de lésions musculaires et de leur récurrence il est nécessaire de mieux les comprendre pour mieux prévenir et mieux traiter. Il est important de préciser que chaque muscle a une architecture propre qui dépend de différents paramètres comme l’identité génétique ou encore le type de pratique sportive.
Quand on a plutôt un muscle de force alors l’organisation architecturale présente un angle de pennation grand avec une diminution des fascicules musculaires. S’agissant d’un muscle de vitesse, on observe un plus grand fascicule avec un plus petit angle de pennation.
Par exemple, un ischio-jambier qui a des fascicules plus courts et un angle de pennation plus grand se blessera statistiquement bien plus qu’un autre.
Les LMA c’est quoi exactement ?
Arnaud propose au début des années 2000 la terminologie “lésions myo-aponévrotiques” afin de décrire avec précision ce qu’on nomme communément “déchirures” ou “élongations” depuis les années 60. La lésion musculaire est une atteinte du composite myo-aponévrotique, c’est une désinsertion de la structure musculaire de son support conjonctif.
La désinsertion peut survenir à trois endroits principaux :
à la jonction myo-tendineuse,
à jonction myo-aponévrotique au niveau de l’aponévrose périmusculaire (périphérique)
à la jonction myo-aponévrotique au niveau de la cloison centro-musculaire (centrale)
Les techniques modernes d’imageries et les travaux des bio-ingénieurs, anatomistes et imagiers, permettent aujourd’hui de mieux comprendre l’organisation anatomique des muscles squelettiques. Il existe différentes typologies de muscles : muscle fusiforme, muscle pennés, bi pennés et multi pennés.
Vous l’avez compris, pour une bonne prise en charge en kinésithérapie dans le cadre des LMA, il est essentiel de bien connaître les spécificités anatomiques, architecturales et biomécaniques du muscle atteint. En effet, on ne rééduque pas de la même manière un muscle de force (grand angle de pennation et court fascicule) et un muscle de vitesse (petit angle de pennation et grand fascicule).
Les classifications
Au cours des vingts dernières années, Arnaud nous raconte que beaucoup ont tenté de proposer des classifications, mais aucune d’entre elles n’a de validation internationale.
Ce qu’il faut garder à l’esprit c’est que la gravité de la lésion est liée à sa topographie. Dans un muscle, une lésion au niveau le la jonction myo-tendineuse est plus grave qu’une lésion au niveau de la jonction myo-aponévrotique périphérique qui elle même est plus grave qu’une lésion au niveau de la jonction myo-aponévrotique centrale.
Taux de rechute et prévention
On observe de plus en plus de rechutes (de 8 à 15% de rechute toutes pathologies confondues et 40% de rechute sur les ischio). En 5 ans, cette hausse est exponentielle avec +2,5% de rechutes en plus/an. En cause, les exigences physiologiques d’une part : calendrier de plus en plus intense des compétitions professionnelles, plus de sprints, plus de changements de directions, plus de décélérations, ce qui conduit inévitablement à des dommages musculaires plus fréquents et donc des lésions.
Également, l’environnement bio-psycho-social, la pression des clubs, des assurances, les primes assujetties au nombre de matchs joués trompe les rapports et pousse à la reprise prématurée dans le sport professionnel.
Ainsi, dans le sport professionnel, la première chose est d’être conscient des nouvelles exigences liées à cet environnement bio-psycho-social. De fait, en cas de blessure, il semble impératif d’appliquer les bons protocoles (analyses génomiques, follow up en imagerie – un vrai plus..), il faut que celui- ci soit bien exécuté et qu’il soit suivi jusqu’au bout. On observe que l’immense majorité des clubs pros ne respectent pas la durée conseillée (15 jours au lieu de 6 semaines) et font reprendre le sportif trop tôt, souvent sous la pression.
Dans les contextes professionnels ou amateurs, la meilleure façon de prévenir la rechute est donc de se tenir aux bons protocoles et de les poursuivre dans leur totalité. Pour aller plus loin sur les stratégies préventives chez le jeune sportif.
Peut-on isoler des facteurs de risques ?
L’analyse des facteurs de risque et leur prédiction est un exercice difficile. Les éléments probants sont peu nombreux et souvent de faible niveau.
Plusieurs études portant sur les lésions des ischio-jambiers ont conduit à la reconnaissance de nombreux facteurs de risque potentiels.
Les facteurs intrinsèques :
Les non modifiables: l’âge et les blessures antérieures
Les modifiables: – La génomique/ La Biomécanique/ L’anatomie et l’architecture du muscle/ Le contrôle neuro-moteur/ La fatigue neuromusculaire/ La charge de travail
Les facteurs extrinsèques (contraintes, environnement, intensité, surface de jeu…)
Il n’existe donc pas de consensus sur le sujet mais des études de hautes qualité montrent que la force musculaire et que la flexibilité des ischio-jambiers ne sont pas des facteurs de risque.
“Renforcer un muscle, ça n’a pas de sens”
On traîne ce lieu commun depuis bien trop longtemps. Ce n’est pas parce qu’un muscle est faible que vous allez vous blesser.
Lors d’une lésion musculaire, l’architecture du muscle est modifiée, la rééducation doit absolument respecter l’architecture du muscle de départ. L’ architecture d’un muscle répond à une fonction déterminée génétiquement, mais celle-ci demeure évolutive face aux contraintes imposées par son environnement.
Par exemple faire du concentrique lent (augmente l’angle de pennation et diminue la taille du fascicule) sur un ischiojambier (muscle de vitesse: grand fascicule/petit angle de pennation) n’a pas de sens car on va dénaturer son architecture et donc provoquer une altération importante de la fonction musculaire (si le muscle se raccourcit il gagne en force mais perd en vitesse de contraction) ce qui peut l’exposer à un risque de blessures plus élevé. C’est bien en respectant l’architecture d’un muscle qu’on prévient de la rechute car on le façonne à sa fonction.
La phase d’urgence est la plus importante
L’idéal lorsque l’on prend en charge une lésion musculaire, c’est de recevoir le blessé le plus tôt possible (dans les 4 premiers jours). Cela permet de diminuer considérablement l’intervalle entre la blessure et le retour au sport.
Cette phase est très importante car elle va déterminer la cicatrisation, le but est d’amener rapidement un maximum de capillarisation autour de la lésion. Lors du bilan on pourra définir un niveau d’indisponibilité général en fonction notamment du screening flash et du diagnostic initial.
Après la phase d’urgence, on ne doit plus résonner en terme de durée. On fait passer des tests fonctionnels : la force déclenche-t-elle une douleur ? Quid de l’imagerie ? Ensuite on passe de phases en phases (la phase 2 peut être plus longue pour certains que pour d’autres).
Indéniablement, la phase d’urgence est la plus importante car elle va déterminer la cicatrisation. La seule chance d’accélérer la cicatrisation est d’amener un maximum de capillarisation la première semaine.
Quelle allure adopter dans la rééducation ?
Les LMA, sont une des pathologies les plus fréquentes chez le sportif, qui supporte pourtant le plus grand empirisme dans la prise en charge. Tout n’est pas encore défini, prouvé et testé. Ce qu’on retient, c’est qu’il faut sortir des étapes chronologiques, et valider plutôt des steps (amplitudes, forces…).
La rééducation doit être effectuée de manière intelligente, c’est à dire que l’on doit sélectionner des exercices pertinents avec des charges progressives et adaptées. Une charge optimale est une charge qui sera tolérée en terme de douleur (EVA:4/10) par le patient tout au long de l’exercice. Ceci doit être le fil conducteur de notre rééducation car il permettra une cicatrisation adéquate des tissus. N’oublions pas que le plus dommageable pour les lésions musculaires, c’est ne rien faire, il faut à tout prix éviter le detraining.
Pour aller plus loin, retrouvez le dossier spécial “Neuro-inhibition et déficits d’activations après lésion musculaire” de Kinesport.
Quels sont les critères de reprises, quid des tests de force ?
Il n’y a pas d’évidence scientifique, et donc de consensus sur le sujet des critères, ce qui pose problème.
En rassemblant les différents critères selon les auteurs on constate qu’il existe une grande variabilité des phases et des critères et que ceux-ci ne sont pas toujours accessibles pour les kinés exerçant en cabinet. La notion de force n’a pas de validation scientifique en tant que critère de reprise.
En effet, lors d’une lésion et afin de protéger la zone blessée, on observe une adaptation du SNC. Il y a une redistribution de l’activation musculaire au sein des synergistes pour maintenir le même niveau de force produite par l’articulation. Ce n’est donc pas parce que le niveau de force est maintenu que le muscle lésé a retrouvé sa fonction.
Il faut donc travailler différemment avec des outils nouveaux qui permettent de contrôler la bonne récupération musculaire: L’EMG de surface permet de vérifier le niveau d’activation d’un muscle. L’Echoscopie permet de surveiller les paramètres méca et architecturaux du muscle.
Comment fait-on dans un cabinet de ville quand on ne dispose pas de ces outils ?
S’il on veut se spécialiser dans la prise en charge du sportif, on investit dans un EMG de surfaces. Sinon, on travaille ses activations de manière analytique pour se prémunir de l’aspect délétère.
Il faut être ordonné et rigoureux. On lance des quickscan (= ensemble de tests cliniques sur l’amplitude, la force, la douleur) avec un dynamomètre voire un EMG pour objectiver la neuro-inhibition. On tend de plus en plus vers un avenir technologique, il faut prendre les bons réflexes. Un dynamomètre, c’est indispensable pour les mesures de force (à ne pas faire à la main car c’est contre-dit)
⚡️ Attention, cet article n’est pas une publication scientifique, c’est un papier de vulgarisation suite à un podcast, toutes les sources sont à retrouver dans les liens disponibles “Pour aller plus loin”.
Et pour en savoir plus, vous pouvez écouter 🎧 Le podcast de Maddie x Arnaud Bruchard (il nous livre également son point de vue sur les classifications, mais encore sur le non-intérêt de l’isométrie sur une lésion musculaire).
❤️ L’équipe Maddie 🤸♂️ Prenez soin de vous ❤️