Nous, kinésithérapeutes, avons beau continuer à nous former tout au long de notre carrière, nous pouvons toujours être exposés à des fausses idées qu’il est important ne de pas continuer à véhiculer. Les étirements et leurs effets restent aujourd’hui un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre et donner naissance à deux grandes théories ( Mécanique et Sensitive).
Il est l’heure de faire un état des lieux en s’appuyant sur la littérature actuelle, l’expérience des thérapeutes et entraîneurs, et les objectifs et attentes des patients. Attention aux raccourcis, les étirements doivent être pensés dans leur globalité !
Un zest de sémantique
Sans enlever à Weineck (1992) ce qui appartient à Weineck, un rapide tour d’horizon de la littérature francophone et anglo-saxonne met en évidence un fouillis organisé dans le champ lexical utilisé pour parler des étirements. A vouloir trop simplifier la terminologie on risque de perdre l’essentiel : les nuances.
Il est important de distinguer la “raideur” de la “rigidité” (raideur infinie). La flexibilité (mesure d’une amplitude articulaire) de la “souplesse” (amplitude + force nécessaire pour l’atteindre); la flexibilité (échelle articulaire) de l’extensibilité (échelle tissulaire). L’amplitude passive de l’amplitude active qui déterminera ainsi la réserve de mobilité etc… L’absence de consensus international quant à l’utilisation de tous ces termes est une source supplémentaire de controverse et de confusion pour un sujet qui n’a pas eu besoin de cela pour faire couler de l’encre depuis plus de 30 ans.
Dans une approche réductionniste, on pourrait identifier chez l’Homme cinq qualités physiques majeures : l’endurance, la vitesse, la force, la coordination… et la souplesse. Et, comme toute qualité physique, la souplesse est entrainable. Les étirements sont une pratique corporelle permettant de développer cette souplesse.
Il faudra donc se poser la question suivante : de quoi est ce que j’ai/mon patient à besoin? Quel est son objectif ? Quelles sont les spécificités de sa demande/de son sport ?
Il existe trois familles d’étirements
Les étirements statiques : ce sont des étirements où il n’y a pas de mouvement durant leurs réalisations. Les étirements statiques peuvent être actifs ou passifs quand ils sont intentés par un tiers, par exemple un kinésithérapeute 😉
Les étirements dynamiques actifs et balistiques : ceux-là incluent une notion de mouvement et de vitesse.
Les étirements avec précontraction : ceux-là incluent des manoeuvres de facilitations neuro proprioceptives
Pour un gain d’amplitude à court terme (hors contexte spécifique) : l’étirement le plus conseillé est l’étirement statique…au sol
Du moins c’est celui qui vous procurera le meilleur gain d’amplitude ! La stabilité étant toujours à favoriser pour cet objectif, une posture au sol est donc à privilégier (versus debout en équilibre) selon le groupe musculaire ciblé et les capacités du patient à se relâcher et maîtriser son corps dans l’espace.
En matière d’étirements, c’est comme pour la déco : less is more
Lors d’un étirement, on peut s’appuyer sur cinq paramètres majeurs pour construire sa séance : l’intensité (où s’arrêter par rapport à la douleur), la durée, la fréquence, le temps de repos et la position.
Au quotidien, il est plutôt conseillé de :
S’étirer tous les jours, plutôt que 3 fois par jour.
Viser 5 minutes /muscle/ semaine, ni plus ni moins. A priori cela semblerait être le meilleur compromis pour le plus grand nombre (bien entendu des subtilités de contexte, d’individus et d’OBJECTIFS fourniront des exceptions)
Tabler sur une intensité d’étirement comprise entre 30% et 50% de l’amplitude max si votre objectif est de diminuer la résistance passive de l’articulation au mouvement. Figurez-vous que les résultats sont meilleurs que si on s’étire à une intensité maximale de 100%…Amis masochistes, rien ne sert d’aller chercher cette douleur ! Bien entendu, la recommandation sera différente pour ceux qui cherchent à gagner des angles dans les amplitudes extrêmes, hélas pour eux, l’intensité au delà de 80% doit alors être recherchée 🙂
Pour un gain d’amplitude maximal à court terme évitez les pauses
Préférez 1’30 d’un seul tenant avec une intensité supérieure à 80% plutôt que 3 fois 30 secondes (tout en respectant la progressivité et la spécificité dans l’entraînement évidemment).
La flexibilité peut se calculer en deux mesures : statique ou dynamique
La flexibilité peut être mesurée en statique (ex: distance dos à sol) c’est à dire en mesurant une amplitude disponible à une articulation. Elle peut également être l’objet d’une mesure dynamique, à l’aide d’un ergomètre isocinétique par exemple. On mesurera dans ce cas la résistance dans l’ensemble de l’articulation lors d’un cycle passif.
En 2020, toujours pas de lien direct entre étirement et diminution des courbatures post effort
Les idées reçues ont la vie dure. En matière d’étirements, beaucoup d’affirmations martelées par les coachs sportifs ou sur les bancs de la fac, cherchent encore leur justification scientifique. Par exemple, à date, personne n’est capable de faire un lien entre le fait de s’étirer et celui d’avoir moins de courbature.
Pour certains ce serait le “retour au calme”, induit par le cérémonial des étirements après une session de sport, qui serait (indirectement) bénéfique à nos tissus. En effet, s’accorder un temps pour souffler après un exercice sportif, c’est s’assurer un meilleur état de détente post-entraînement, et donc une meilleure qualité de sommeil et, in fine, une meilleure récupération.
De même aujourd’hui, personne n’est en mesure de prouver que des étirements en début d’entraînement réduisent les risques de blessures. Et ce quelles que soient les modalités.
En revanche il ne sont pas non plus dangereux s’ils sont réalisés de manière dynamique ou passive de courte durée et/ou s’ils font partis d’une routine complète d’échauffement. On peut imaginer que l’athlète puisse même indirectement en tirer un bénéfice de performance : s’étirer en début d’entraînement c’est aussi s’inscrire dans une routine qui rassure et favorise la concentration. Une perte de repères pour un sportif ou tout autre patient peut l’exposer à des conséquences néfastes.
Il y a des habitudes et des routines qui sont parfois réalisées depuis plusieurs années. Il ne faut pas imposer des changements drastiques qui seraient contre-productifs. Il faut réaliser des virages en douceur, pour éviter les vagues.
En fait, les étirements ont certainement des vertus mais peut-être pas celles qu’on revendique aujourd’hui
Les étirements sont pratiqués en kinésithérapie dans 4 objectifs majeurs : augmenter la longueur musculaire (éloigner les insertions), augmenter l’amplitude, favoriser la cicatrisation musculaire, c’est à dire la régénération des tissus sans créer des zones de fibroses, et diminuer le tonus musculaire afin d’obtenir un relâchement.
Néanmoins deux points sont à noter :
les effets provoqués par un étirement peuvent être atteints autrement. D’ailleurs, selon l’objectif et le moment de prise en charge, l’étirement n’est pas forcément le moyen le plus efficient ou celui qui convient le mieux aux spécificités d’un patient.
on ne peut jamais affirmer qu’un effet obtenu suite à un étirement provient à 100% de cet étirement. Il existe bien trop de facteurs en jeu lors d’un étirement (vasculaires, nerveux, articulaires) pour en conclure une vérité absolue.
Mais alors d’où viennent les gains d’amplitudes qui accompagnent les étirements ? A vrai dire, nous n’en sommes pas encore certains. Est-ce le muscle qui s’allonge ? Ou est-ce la sensation à l’étirement qui change ?
Pour rappel, d’un côté, la théorie mécaniste interprète tout changement au niveau de l’amplitude comme la résultante d’une adaptation des tissus. Hélas très peu de preuves scientifiques permettent de le corroborer.
De l’autre, la théorie sensitive assimile les gains d’amplitudes à une tolérance augmentée à l’étirement. Des études ont par exemple rapporté des gains d’amplitude articulaire au niveau de la cheville simplement en modifiant la position du bassin. Il semblerait donc que le système nerveux central via ses afférences sensorielles joue un rôle dans les variations d’amplitudes observées.
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L’élastographie semble être une technique prometteuse pour évaluer les effets d’un étirement
L’élastographie est une technique qui se base sur l’imagerie échographique pour donner une estimation quantitative et qualitative de la raideur d’un tissu. En calculant des temps de vol et la déformation du tissu suite à l’émission d’une secousse électroacoustique cette technologie pourra donner un ordre d’idée de la raideur du tissu observé.
Pour la première fois, grâce à cette technique, il devient possible d’obtenir des informations qualitatives spécifiques à chacun des tissus (ligaments, tendons, muscle, nerfs….) et ainsi sortir de l’information globale d’une articulation.
Attention, cette pratique présente des limites techniques importantes. Il s’agit à la base d’un outil d’aide au diagnostic médical. Son utilisation dans le domaine de la biomécanique humaine est certes prometteuse et intéressante mais on est loin de la complexité et de la dynamique d’un mouvement ou d’une tâche sportive. Même si cette technique semble fiable et reproductible dans l’étude de certains muscles et tendons en condition passive, des questions subsistent pour l’évaluation active. Réserve et prudence sont donc de mises quant à ses potentiels implications dans les stratégies de prévention des blessures, la performance et le retour au sport suite à une blessure.
Conclusion : si tu aimes les étirements, vas-y. Sinon il y a d’autres modalités.
Vous l’aurez compris il n’existe pas UN mais DES étirements. Ainsi, sans préciser le type, les paramètres, les positions, les objectifs, il est impossible de savoir de quoi on parle. De plus, il est difficile d’isoler les phénomènes et épi-phénomènes à l’oeuvre pendant ces étirements. Autrement dit, il est difficile de lier les résultats obtenus à la pratique seule des étirements. Il y a de nombreux facteurs de confusion (respiration, stress environnemental…)
N’oublions pas que seul compte le résultat. Soyons conscients qu’il existe différents moyens d’arriver à un même objectif et qu’il toujours plus recommandable de privilégier ce que le patient aime car c’est ce qu’il sera le plus amené à reproduire par lui même hors-séance. Dans le cas où les objectifs ne semblent pas atteignables avec les habitudes du patient c’est à nous de l’accompagner et le diriger vers des évolutions pertinentes sans jamais imposer frontalement une pratique.
Dans le cadre de la performance il faut se poser la question de l’efficience. Un gain de mobilité à court terme obtenu de manière passive à l’échauffement est-il le plus pertinent dans un sport collectif? N’y a t’il pas d’autres choses plus intéressantes à faire. Est il nécessaire d’utiliser le terme “étirement actif-dynamique” quand on ajoute des contractions musculaires isométriques, excentrique et que l’on fait des mouvements dynamiques? Est ce que si on enlève les quelques secondes d’étirements passifs on aurait pas le même résultat? Au final on est plus proche d’une contraction que d’un étirement donc pourquoi ajouter une terminologie française à des choses qui existent déjà? Simplexité !
Nous avons le devoir en tant que professionnel de prendre le temps de nous poser les bonnes questions à chaque situation donnée. Qu’est ce que j’ai comme alternative ? Dans quelles mesures cela convient-il à mon patient ? Le meilleur traitement sera celui qui sera poursuivi en dehors des séances et que le patient s’appropriera.
Crédit : Herv’ – @KoffeeBreak38 – coffeebreakine@gmail.com